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"Violences sexuelles" dans le métavers : quatre questions pour tout comprendre
Gustavo Valiente / Xinhua News Agency/Newscom/MaxPPP

"Violences sexuelles" dans le métavers : quatre questions pour tout comprendre

Black Mirror

Par Arnaud Ciaravino

Publié le

L’ONG américaine SumOfUs a révélé fin mai le témoignage d'une chercheuse qui s'est dite « agressée sexuellement » dans le métavers, monde virtuel créé par Meta, la société de Mark Zuckerberg. D'autres utilisateurs ont rapporté des scènes similaires. Que penser de ces prises de parole ?

« Mate ça ! C’est un spectacle gratuit », lance dans son micro un utilisateur anonyme. Sur un fond musical de rap américain, son avatar numérique se met soudain à mimer un rapport sexuel avec celui d’une chercheuse de 21 ans *, non consentante. Le tout sous les yeux de son ami, hilare. « Il va t’en falloir plus, petite », ajoute ce dernier en faisant semblant de donner de l’alcool à la jeune femme.

Cette scène dérangeante, diffusée partiellement sur Internet, s’est déroulée dans une extension du métavers appelé Horizon Worlds, un monde parallèle numérique créé par le groupe Meta (anciennement Facebook), qui permet aux internautes de jouer en ligne et de créer leurs propres mondes virtuels. La chercheuse, qui travaille pour l’ONG SumOfUs – un organisme qui dénonce des comportements d’entreprises qu’il juge irresponsables – se rendait régulièrement dans le monde virtuel pour étudier le comportement des usagers. Sur le Daily Mail, elle raconte avoir été « confuse » et « désorientée » après cet événement.

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Le rapport rédigé fin mai par SumOfUs évoque le mot « viol », repris par de nombreux médias. Un terme juridique qui, selon le Code pénal, impliquerait une interaction physique réelle. Ce qui n'est pas le cas dans le métavers. Que penser, donc, des notions d' « agressions sexuelles » ou de « viol », dans un monde 100 % numérique ? Quatre questions pour y voir plus clair.

Peut-on vraiment parler de « viol » dans un monde virtuel ?

« Parler de viol serait trop excessif, et ne rendrait pas justice à ceux ayant été victime de ces violences dans la vie réelle », estime Michael Stora, psychologue et psychanalyste spécialiste du numérique, qui parle même d'un galvaudage du mot. Le psychanalyste préfère parler de « ressenti » de l'internaute lors d'une agression virtuelle, qui peut générer une angoisse, tout en modérant les traumatismes qui peuvent en résulter.

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L'aspect très immersif du métaverse reste toutefois impressionnant. Le casque de réalité virtuelle, l'Oculus Rift, offre une vision à 360 degrés de l'environnement, et les avatars en trois dimensions peuvent ajouter une couche de réalisme. « Un sentiment d'enfermement peut émerger chez les personnes sensibles », soulève Michael Stora, mais les victimes de comportements inappropriés peuvent toujours se déconnecter du monde virtuel et s'éloigner de la menace.

« Je pense qu'il faut surtout s'inquiéter des personnes impressionnables et fragiles psychologiquement, souligne Valérie Sellam-Benisty, avocate spécialiste des agressions sexuelles. Les victimes qui ont subi un viol ou une agression sexuelle dans la vraie vie par exemple, peuvent voir ressurgir des traumatismes enfouis si elles sont exposées à ce genre de comportement dans le métavers ».

Existe-t-il des antécédents ?

En décembre 2021, la psychothérapeute Nina Jane Patel dit avoir subi des viols en série dans le métavers. Les médias du monde entier relaient son témoignage, notamment le célèbre Massachusetts Institute of Technology (MIT). « Un coup de génie marketing, persifle Fabrice Ebelpoint, spécialiste des médias sociaux, qui pointe du doigt les gros conflits d'intérêts de la psychothérapeute. Aucun journaliste n'a daigné vérifier qui était cette femme. Elle est pourtant la co-fondatrice et vice-présidente de Metaverse Research pour Kabuni ! ». Une société qui aurait tout intérêt à médiatiser ce genre d'information, développant depuis trois ans et demi un métavers pour les enfants. En concurrence directe, donc, avec le métavers de Marc Zuckerberg.

Le métavers n'est cependant pas le premier monde virtuel à connaître ce genre d'affaires. La psychiatre Muriel Salmona évoque ainsi auprès de Marianne la prise en charge d'une jeune fille dont l'avatar avait été manipulé à des fins sexuelles dans le jeu vidéo de construction de mondes virtuels pour enfant Roblox.

Vingt ans en arrière, le premier métavers, nommé Second Life, faisait déjà l'objet de signalement pour harcèlement sexuel et pédopornographie impliquant des avatars. « Le sexe est devenu l'activité principale du jeu. Le métavers de 2022 n'invente rien », fait remarquer Fabrice Ebelpoint.

Une agression sexuelle dans le métavers peut-elle être considérée comme telle d'un point de vue légal ?

L'absence de contact physique entre la victime et l'auteur des faits dans un monde virtuel rend impossible la qualification de viol dans le métavers. « Trois conditions sont nécessaires pour caractériser un viol. Il faut un acte de pénétration, une absence de consentement, et un élément moral. Or, jamais ces trois conditions ne sont réunies dans le cas du métavers », poursuit l'avocate Valérie Sellam-Benisty.

Les termes d'agression sexuelle ou de harcèlement sexuel ne sont pas non plus corrects d'un point de vue juridique. Ces délits s'appliquent seulement sur des personnes réelles, et non pas sur les avatars numériques, considérés à l'heure actuelle comme des objets. « Parler d'atteinte sexuelle assimilée à une violence psychologique, ou d'outrage sexiste, paraît plus juste, estime l'avocate. Ça cristalliserait le problème et montrerait que la parole des victimes est écoutée. » Mais pas sûr que l'autorité judiciaire aille dans ce sens.

« On est obligés de raisonner par rapport à ce qui existe, et d'adapter la réglementation existante en essayant de faire rentrer le métavers dedans », abonde Thierry Vallat, avocat en droit numérique et pénal. Mais pour la première fois, la justice s'est emparée très tôt du sujet du métavers. Des colloques s'organisent pour suivre ses évolutions extrêmement rapides. « C'est une des premières fois où on est confronté à autant de questions juridiques potentielles par rapport à des choses qui ne sont même pas encore complètement définies, souffle l'avocat. Le droit dans le métavers est pour le moment encore flou, mais les débats organisés pourraient aboutir bientôt sur des réglementations, du moins à l'échelle européenne ».

Metaver peut-il éviter ces cas ?

Meta possède plusieurs leviers techniques pour protéger ses utilisateurs. La fonction Personal Boundary crée une bulle de protection autour du personnage, et contient les non-amis à distance (virtuelle) raisonnable. Une fonction par défaut qu’avait désactivée la jeune employée de SumOfUs lors de l'agression. En complément, l’option SafeZone téléporte quiconque se sentirait en danger dans un espace virtuel séparé du reste.

La responsabilité des plateformes peut aussi être engagée. « Le Digital Services Act (DSA), piloté par la Commission européenne, prévoit d'inciter les plateformes à renforcer leur modération sur les contenus haineux et explicites. Si elles ne font rien, elles pourraient avoir une responsabilité retenue contre elles et être sanctionnées », détaille Tiphaine Bouglon, doctorante en droit du numérique.

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Après la plainte d'une autre utilisatrice du métavers en 2021, Vivek Sharma, le responsable de développement d’Horizon Worlds, s'était exprimé auprès de The Verge après l’incident, qualifiant la situation « d’absolument regrettable ». Pour appuyer la bonne foi du groupe, le responsable a expliqué vouloir rendre les outils de blocage plus « facile à trouver ». Des boutons « bloquer » et « signaler » ont été mis en place pour limiter les injures d'autres utilisateurs malveillants.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne