Accueil

Société Terrorisme
Dix ans des attentats de Mohammed Merah à Toulouse : "L’an 0 du terrorisme islamiste"
Elie Korchia, avocat des parties civiles lors du procès des attentats de Toulouse et Montauban en 2017
JOEL SAGET / AFP

Dix ans des attentats de Mohammed Merah à Toulouse : "L’an 0 du terrorisme islamiste"

Entretien

Par Hugo Romani

Publié le

Il y a dix ans jour pour jour, l’assassinat d’Imad Ibn Ziaten, militaire français d’origine marocaine, dans un quartier au sud-est de Toulouse, marquait le début d’une série d’attentats islamistes en France. L’auteur des faits, Mohammed Merah, tuera par la suite six autres personnes dont trois enfants. Une décennie plus tard, ces assassinats sont pourtant « oubliés » de l’histoire, éclipsés par les attaques contre Charlie Hebdo ou celles du 13-Novembre. Marianne revient sur ce drame avec Elie Korchia, avocat de partie civile lors des procès de 2017 et 2019.

Ils s’appelaient Imad Ibn Ziaten, Abel Chennouf, Mohamed Legouad, Jonathan, Gabriel et Arié Sandler et Myriam Monsonégo. Ces sept personnes, trois militaires et quatre civils ont perdu la vie entre le 11 et le 22 mars 2012. Ils ont été assassinés par Mohammed Merah, terroriste islamiste, dont les actes ont été revendiqués par les organisations Al Qaida et Jund al-Khilafah. Dix ans plus tard, la France a connu d’autres attentats de même nature : au total 271 personnes sont décédées, victime de l’idéologie islamiste.

A LIRE AUSSI : Les principaux attentats islamistes en France depuis l'affaire Merah, il y a dix ans

Les assassinats commis par Mohammed Merah n’ont pas connu le même retentissement médiatique que d’autres meurtres de masse, comme les attentats de Charlie Hebdo ou du 13 novembre 2015. Les raisons sont multiples. Ce tragique évènement survient en pleine campagne présidentielle 2012 et l’affaire est rapidement occultée. D’autre part, mimiser cet incident a permis d’éviter de mettre en lumière les failles du système français comme l’explique Elie Korchia, avocat des parties civiles lors du procès d’Abdelkader Merah, frère et complice du terroriste.

Marianne : Entre le 11 et le 22 mars 2012, sept personnes meurent tuées par Mohammed Merah. Est-ce que la France a pris la mesure de cette attaque à ce moment-là ?

Elie Korchia :Non. La France a tout de suite compris qu’il s’était passé quelque chose de gravissime, car une offense était faite à notre pays et à la République. Des enfants, des soldats et un jeune papa enseignant ont été assassinés. Mais pour autant, il n’y a pas eu de descentes dans les rues, pour dire « plus jamais ça » comme cela a été fait en 2015. Les victimes de 2012 sont trop longtemps restées dans l’angle mort de nos consciences collectives. Le véritable retentissement, il arrive en 2015, d’abord en janvier mais surtout en novembre 2015, quand la société comprend que les militaires et les juifs ne sont plus les seules cibles.

Cet attentat marque toutefois un acte fondateur pour le terrorisme islamiste en France ?

Tout à fait. 2012 c’est l’an 0 du terrorisme islamiste en France. Ces personnes, ces enfants qui ont perdu la vie en mars 2012, sont devenues en quelque sorte des vigies de la République. Ces attentats constituent la matrice de ce qu’il s’est passé en 2015.

A LIRE AUSSI : [Extraits] Mohammed Merah, Amedy Coulibaly, père Hamel... Tous ces ratés du secret-défense

D’ailleurs il y a certaines similitudes entre ce qui s’est passé en mars 2012 et en janvier 2015 : il y a trois attentats, le troisième vise les juifs (une école dans le premier cas, un magasin Hyper Casher dans le second) et à chaque fois, ce troisième attentat comporte un bilan de quatre morts.

Le 11 mars 2012, on est à quelques semaines du premier tour de l’élection présidentielle. Pensez-vous que le contexte électoral a conduit à l’étouffement de l’affaire ?

Non je n’ai pas cette impression au contraire, la classe politique a réagi avec force, que ce soit le gouvernement de Nicolas Sarkozy ou l’opposition de François Hollande. Rappelez-vous, ils avaient suspendu leur campagne pendant plusieurs jours. Alors certes pendant un moment les politiques ont cherché à relativiser mais ils ont très vite pris conscience du danger. En revanche, ni les politiques ni les médias n’ont compris que cela préfigurait la suite des évènements. Le véritable climat de terreur ne sera instauré pour toute la France, je le répète, que trois ans plus tard.

Cet attentat démontre-t-il l’existence d’un antisémitisme latent en France ?

L’antisémitisme existait déjà, il y avait même déjà eu des attentats terroristes de nature antisémite dans les années 1980 comme ceux de la rue Copernic ou de la rue des Rosiers, mais durant trente ans ça s’était relativement calmé. Un évènement avait toutefois alerté la communauté juive, même s’il ne s’agit pas d’un attentat : la séquestration et l’assassinat d’Ilan Halimi, six ans auparavant par le gang des barbares. Avec l’attentat à Toulouse, nous ne sommes plus dans le domaine d’un crime crapuleux mais d’un attentat islamiste. Cela a créé un climat anxiogène pour les juifs de France. Je pense donc que 2012 marque un nouveau palier dans l’antisémitisme en France.

L’islamophobie a-t-elle progressé à cause de ce tragique évènement ?

Je ne le pense pas. La grande majorité de la société française a très vite compris que le combat ne se situait ni contre l’islam ni contre les musulmans mais en opposition avec cet islamisme radical violent. Il s’attaque à notre mode de vie occidental et à notre devise républicaine française « Liberté, Égalité, Fraternité ». Regardez quand Mohammed Merah tire sur des militaires, il assassine des défenseurs de notre liberté et quand il tue des enfants juifs, c’est la fraternité française qui est attaquée.

Cet attentat a-t-il démontré qu’il existait des failles en France dans la manière de lutter contre le terrorisme ?

Oui il y a eu des failles, tous ceux qui connaissent le dossier de près l’ont compris. Mais en mars 2012, la France n’était pas prête à vivre ce genre d’attentats, les services de renseignements locaux et nationaux n’arrivaient pas encore à s’orchestrer. C’est pour cela que je parle d’an 0 en matière de terrorisme.

A LIRE AUSSI : Abdelghani Merah : "Dans ma famille, le juif avait bon dos"

Preuve en est : le 11 mars on croit que l’assassinat d’Imad Ibn Ziaten a été commis par un terroriste d’extrême-droite. Il faudra attendre quatre jours pour que les services de renseignements partent sur la piste de l’islamisme. 2012 aura donc été une révolution pour les services de renseignements mais aussi pour le RAID qui a tiré les leçons de ce qui s’est passé.

La France aurait-elle dû faire plus de prévention sur cette montée de l’islamisme après ces attentats de Toulouse et Montauban ?

Je ne me permettrais pas de critiquer les pouvoirs publics. L’antisémitisme lié à l’islamisme radical était très peu visible dans la décennie 2000-2010. Cependant il existait bien. En 2002, un livre est sorti intitulé Les Territoires perdus de la République, où des enseignants ont expliqué qu’ils ne pouvaient plus faire cours sur la Shoah.

À cette époque, la société française ne voulait pas voir cette réalité. Elle n’aura finalement sauté aux yeux qu’à partir de 2012 et plus encore de 2015. Les pouvoirs publics ont cependant bien réagi après ces attentats, ils ont rapidement compris que la France pouvait à nouveau être la cible de ces cellules islamistes.

Votre abonnement nous engage

En vous abonnant, vous soutenez le projet de la rédaction de Marianne : un journalisme libre, ni partisan, ni pactisant, toujours engagé ; un journalisme à la fois critique et force de proposition.

Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne