Ce mardi 28 janvier, le patron du géant du luxe LVMH s’est alarmé du projet de taxation exceptionnelle des bénéfices, susceptible selon lui de « pousser à la délocalisation ». Un tel exode ne serait pas imposé par une perte de compétitivité, mais plutôt par la quête d'un profit maximal servi aux actionnaires.
Le capitaine d’industrie se serait-il mué en vigie de l’économie française ? Lors de la présentation des résultats financiers de Moët Hennessy Louis Vuitton (LVMH), mardi 28 janvier, Bernard Arnault a pris des airs de lanceur d’alerte face aux plans du gouvernement français. « Quand on revient en France après avoir passé quelques jours aux États-Unis, c’est un peu la douche froide », a cinglé l'actionnaire principal du géant du luxe, qui était présent à la cérémonie d’investiture de Donald Trump. Le multimilliardaire affiche son dépit face au projet d’une taxation exceptionnelle des bénéfices, qui figure dans les cartons de l’exécutif : « On s’apprête à augmenter les impôts de 40 % sur les entreprises qui fabriquent en France, c’est à peine croyable. On va taxer le "made in France". Pour pousser à la délocalisation, c’est idéal », a martelé celui qui détient la cinquième plus grosse fortune au monde.
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Une fois descendu de la tribune, le patron a pris des accents encore plus dramatiques : « On dit que ce supplément d’impôt va être annuel [et ne s’appliquer qu’en 2025], mais personne n’y croit. (...) Si tout ça aboutit, le chômage va continuer à augmenter, c’est certain. Il est évident que nous sommes fortement sollicités par les autorités américaines pour continuer nos implantations [aux États-Unis], et dans l’environnement actuel, c’est quelque chose que l’on regarde fortement », a-t-il ajouté en marge de l’événement, dans une déclaration captée par France Inter.
Le projet de budget pour 2025 prévoit en effet une « contribution exceptionnelle sur les bénéfices des grandes entreprises », imaginée par le gouvernement Barnier et reprise par celui de François Bayrou. Cette mesure consiste à alourdir l’impôt sur les sociétés (IS), qui ponctionne les profits engrangés par les entreprises – et réduit ainsi les revenus de leurs actionnaires. Son montant serait accru de 20,6 % pour les sociétés au chiffre d’affaires compris entre 1 et 3 milliards d’euros, et de 41,2 % pour celles dont les ventes dépassent 3 milliards d’euros (parmi lesquelles figure LVMH). En vertu du texte voté par le Sénat, cette surcharge s’appliquerait pendant deux ans, mais le gouvernement compte la limiter à une seule année selon Les Échos.
Pas de raison de plomber les débouchés
En tant que telle, cette ponction n’a pas de raison de plomber l’activité des usines françaises de LVMH, même si elle était pérennisée. « Cet impôt est prélevé sur les bénéfices, autrement dit sur ce qui reste après avoir payé tous les coûts, relève Laurent Bach, économiste et coresponsable du pôle Entreprises à l’Institut des politiques publiques (IPP). C’est différent d’une taxe qui toucherait les matières premières utilisées pour la fabrication : dans ce cas, cela augmenterait le coût de production, avec un impact sur le prix des produits et la compétitivité de l'entreprise. Mais l’impôt sur les bénéfices n’a pas en soi une telle répercussion. »
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Dès lors, il n’y a pas de raison qu’une surtaxe sur les profits réduise les débouchés des sacs Louis Vuitton ou du cognac Hennessy. Si la production française de LVMH s’en trouvait réduite, ce serait parce que ses dirigeants auraient investi dans des pays à la fiscalité plus clémente, afin de soigner les bénéfices servis aux actionnaires. À cet aune, l’avertissement de Bernard Arnault sur de possibles délocalisations prend un air quelque peu menaçant.
Bas de laine
Si la surtaxe était prolongée, combien d'investisseurs choisiraient de déplacer leur mise hors de l'Hexagone ? L'ampleur de cette fuite reste incertaine, à en croire Laurent Bach : « Lors de son premier mandat, Donald Trump avait mené une réforme en sens inverse, en baissant nettement la taxation des profits. D’après une étude sur les effets de cette mesure, celle-ci a significativement baissé les recettes fiscales, mais n’a pas beaucoup augmenté l’investissement », observe l'économiste.
Précisons d’ailleurs que LVMH ne manque pas de moyens pour s’acquitter de son obole fiscale. L’an dernier, l’entreprise a dégagé 13 milliards d’euros de profits, un montant équivalent à 20,6 % de ses capitaux propres. Soit un ratio de rentabilité bien supérieur à la norme du CAC 40. Dans ces conditions, la contribution exceptionnelle ne fera que ralentir la croissance de la fortune de Bernard Arnault, qui atteint déjà 162 milliards d’euros, selon Forbes. Pas de quoi faire pleurer dans les chaumières…