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"Le 'plan eau' de Macron passe à côté de l'essentiel"
AFP / Sebastien NOGIER

"Le 'plan eau' de Macron passe à côté de l'essentiel"

Tribune

Par Élodie Vieille Blanchard et Gabriel Amard

Publié le

Ce 30 mars, le président de la République a présenté son plan de gestion de l’eau. Dans une tribune Gabriel Amard, député LFI-Nupes du Rhône, et Élodie Vieille Blanchard, présidente de l’Association végétarienne de France, expliquent en quoi ils le jugent largement insuffisant. Selon eux, il n'est possible de s'attaquer au problème qu'en changeant de modèle agricole.

Réclamé par le chef de l'État en réponse à la sécheresse sans précédent de l’été dernier et impatiemment attendu en raison des faibles précipitations de cet hiver, le plan eau présenté par le gouvernement jeudi échoue une fois de plus à lever le tabou de la réduction des productions animales.

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Le dérèglement climatique en cours affecte le cycle de l’eau que les activités humaines viennent encore perturber. En ce début de printemps, les nappes phréatiques sont au plus bas. Sur une moyenne de 208 milliards de mètres cubes d'eau disponibles par an en France métropolitaine, environ 31 milliards sont prélevés pour les activités humaines. Certains prélèvements sont rendus aux eaux de surface, par exemple ceux qui servent à refroidir les centrales électriques. D’autres ne sont pas restitués aux milieux aquatiques, tels ceux qui irriguent les cultures et sont absorbés par les plantes. Cette distinction explique la différence entre « eau prélevée » et « eau consommée ».

La question agricole

L’agriculture ne représente qu’un dixième de l’eau prélevée en France , mais elle contribue à 58 % de la consommation , surpassant ainsi largement l’eau potable (26 %). Difficile de faire l’impasse sur ce secteur quand on veut préserver les ressources hydriques ! La majorité des pompages agricoles arrose les champs de maïs, surtout en été, et autres grandes cultures. Or ces productions végétales alimentent massivement les élevages de poulets et de cochons, principalement industriels en France.

« Son plan eau relègue le secteur agricole à l’arrière-plan. »

En conséquence, les produits végétaux sont largement plus économes en eau que la viande. Par exemple, il faut 1 250 litres d’eau pour produire un hamburger classique avec des produits français contre seulement 150 pour un équivalent végétalien. Cet état de fait aurait justifié que le plan eau recommande une réduction des productions et des consommations animales. D’autant que la situation devrait s’aggraver avec la crise climatique. Selon France Nature Environnement, le pourcentage de surfaces agricoles irriguées en France a augmenté au rythme soutenu de 14,6 % entre 2010 et 2020. Cette hausse devrait se poursuivre, car les précipitations deviennent chaque année plus rares en période de pousse.

Le plan eau présenté par Emmanuel Macron ce jeudi met en avant la volonté d’agir contre les gaspillages. C’est certes louable. Mais l’orientation générale du plan semble confirmer l’incapacité du gouvernement à traiter les problèmes environnementaux à la racine. Alors que le chef de l’État prétend vouloir « réinventer des modèles agricoles dans notre République », son plan eau relègue le secteur agricole à l’arrière-plan en se focalisant sur les usages en eau potable, qui ne concernent pourtant qu’un quart des consommations.

Une incapacité d’agir à la racine du problème

Plutôt que de saisir l’occasion de la crise de l’eau pour repenser les priorités agricoles et amorcer un virage vers un modèle plus soutenable, le gouvernement parie sur des aménagements techniques aux impacts limités et sur la plantation de haies, s'exonérant ainsi d'une réflexion de fond sur la limitation de l’emprise agricole. Dans le même temps, il exempte les agriculteurs d’une baisse de prélèvements pour l’irrigation des cultures et continue à soutenir les mégabassines destinées à l’agriculture intensive, tout en réprimant violemment les actions écologistes en faveur d’un plus juste accès aux ressources.

La réponse aux tensions sur l’eau viendra du manque de nourriture pour les animaux, qui forcera les éleveurs à cesser leur activité. L’été dernier a déjà été marqué par des tensions sur le marché des céréales et de médiocres récoltes de fourrages. Il serait donc avisé de ne pas attendre la catastrophe pour amorcer une bifurcation.

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La réinvention de notre modèle agricole ne peut éluder les solutions prônées par les plus grandes organisations environnementales et plébiscitées par la population : la fin des projets d’implantation d’élevages toujours plus grands ; la fixation d’un objectif ambitieux de réduction du cheptel, tout en soutenant la désindustrialisation de l’agriculture pour préserver les emplois agricoles et limiter les risques épidémiques ; la réorientation du modèle alimentaire vers une alimentation moins carnée en s'appuyant sur des politiques économiques, de santé publique et de restauration collective adéquates.

En plus d’agir à la racine pour prévenir l’épuisement des réserves d’eau, une telle démarche concourrait à limiter l’impact climatique et à préserver la qualité des eaux polluées par les effluents des élevages et leurs cultures nourricières. Seule la volonté manque.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne