La juriste Anne-Marie Le Pourhiet déplore la logorrhée médiatique qui entoure la condamnation de Marine Le Pen à cinq ans d'inéligibilité avec exécution immédiate. On assiste, selon elle, à un retournement de la situation faisant de la coupable de détournement de fonds publics et d'atteinte au bien commun, une victime.
Le bruit et la fureur sont sans doute les premiers et les plus redoutables adversaires de la démocratie, mais l’hystérie semble malheureusement vouloir s’installer dans nos sociétés gavées de logorrhée médiatique. Essayons quand même d’examiner calmement et rationnellement l’évènement judiciaire advenu le 31 mars.
Répression des abus
Pendant fort longtemps les indemnités versées aux parlementaires européens et à leurs assistants ont fait l’objet d’utilisations dévoyées aux fins de financement des dépenses de personnel et de fonctionnement du parti dans l’État-membre d’origine. Il arrivait même que des candidats sélectionnés pour l’élection européenne soient contraints par leur parti de signer un « contrat » aux termes duquel ils s’engageaient, s’ils étaient élus, à reverser une partie de leurs émoluments pour rémunérer des permanents au siège.
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Face à ces abus très répandus dans toute l’Union, le règlement du Parlement européen a entrepris de les corriger mais les mauvaises habitudes ont cependant perduré dans certaines formations, tandis que des scandales récents ont encore montré que les institutions de Bruxelles et de Strasbourg étaient fort mal placées pour donner des leçons d’État de droit aux États-membres.
Parallèlement, sous l’effet de plusieurs scandales et « affaires » ayant éclaté au niveau national comme européen, mais aussi sous l’influence de puissantes et menaçantes associations de lutte contre la corruption, la législation française s’est enrichie d’une quantité impressionnante de dispositions pointilleuses et sévères, parfois très intrusives dans la vie privée, tendant à assurer la transparence de la vie publique et à lutter contre les conflits d’intérêts, la corruption, les détournements de fonds publics et autres « manquements au devoir de probité ».
L’inéligibilité a pour finalité de servir la démocratie
Les lois successives n’ont cessé de renforcer les sanctions de ces infractions et ont aussi ouvert aux associations militantes la possibilité de déclencher les procédures répressives. Parmi les sanctions pénales prévues pour ce type d’infractions, la peine d’inéligibilité aux mandats publics est évidemment centrale et la loi dite « Sapin 2 » de 2016 l’a même rendue obligatoire pour les principaux délits de cette catégorie. Aucune exception n’a été prévue par le législateur pour le cas particulier de l’élection présidentielle, de même qu’il n’a mis aucune condition particulière au prononcé de l’exécution provisoire.
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C’est donc bien la loi, votée par les députés et sénateurs français, sur initiative du gouvernement, qui prévoit de sanctionner l’auteur de détournements de fonds publics en l’empêchant de se présenter à des élections durant un certain délai. Si donc l’inéligibilité est une atteinte à la démocratie, comme on l’entend beaucoup ces jours-ci, alors elle l’est dans tous les cas et pour toutes les élections politiques, locales comme nationales, et ce sont donc les parlementaires eux-mêmes qui en prévoyant cette inéligibilité auraient commis un crime de lèse-démocratie ! On rappellera d’ailleurs que la principale condamnée du 31 mars avait elle-même autrefois proposé l’inéligibilité « à vie » pour les faits de corruption. Comme le rappelle sagement un adage romain : patere legem quam ipse fecisti = souffre la loi que tu as faite toi-même.
Prétendre que la sanction d’inéligibilité serait contraire à la démocratie est évidemment une sottise. Le Conseil constitutionnel rappelle à juste titre que l’inéligibilité assortie d’une exécution provisoire met en œuvre l’« exigence constitutionnelle qui s’attache à l’exécution des décisions de justice en matière pénale » et « contribue à renforcer l’exigence de probité et d’exemplarité des élus et la confiance des électeurs dans leurs représentants ». L’inéligibilité n’a pas pour finalité de contrarier la démocratie mais au contraire de la servir, c’est un contresens que d’affirmer le contraire.
Le manquement au devoir de probité doit être d’autant plus sévèrement sanctionné
Que la personnalité effectivement sanctionnée par application de la loi pénale, soit un leader politique de premier ou de second rang n’y change rien. L’on peut même avancer que le manquement au devoir de probité doit être d’autant plus sévèrement sanctionné et sa récidive prévenue que la personne incriminée se propose d’exercer une haute fonction représentative.
L’affirmation, également répandue ces jours-ci, selon laquelle il ne faudrait pas prononcer de peine d’inéligibilité à l’égard du candidat « naturel » (qu’est-ce donc ?) d’un important parti est aussi très surprenante et assurément erronée. L’on peut tout à fait retourner l’argument et démontrer qu’au contraire, une formation politique de poids a intérêt à se choisir un candidat au-dessus de tout soupçon. Les électeurs LR ont d’ailleurs récemment compris à leurs dépens la morale du proverbe africain selon laquelle « Quand on veut monter au cocotier il faut avoir le cul propre ».
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Le tribunal correctionnel aurait sans doute pu, par complaisance, s’abstenir de prononcer l’exécution provisoire qui relève, en tout état de cause, de son pouvoir d’appréciation mais il a délibérément choisi la sévérité. C’est son choix, qui sera naturellement contesté en appel.
Les réactions faussement ulcérées sont toujours de mise
Les cris d’orfraie entendus de toutes parts sont d’autant moins crédibles que le procès pénal en cause étant depuis longtemps engagé, les intéressés savaient parfaitement ce qu’ils encourraient. Mais les réactions faussement ulcérées sont toujours de mise dans de tels cas et l’on se souvient que François Bayrou n’avait pas hésité à imputer la mort de Marielle de Sarnez, atteinte d’un cancer, à la procédure judiciaire dont elle faisait également l’objet pour une affaire d’assistants parlementaires européens du Modem.
Il y a une grande part d’exagération dans le théâtre médiatique actuel mais sans doute aussi un refus d’admettre que trop mettre la pression sur les juges, comme sur d’autres décideurs, peut se révéler contre performant. Les institutions n’aiment pas, on le comprend, qu’on les menace ou les suborne ni qu’on leur dicte leurs décisions par voie de presse. Elles risquent alors de vouloir démontrer leur indépendance par une ruade. La leçon sera à méditer pour la procédure d’appel.