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"Le rêve et la plainte" : l'art du vaudeville au théâtre des Bouffes du Nord, à Paris
Une cuisine rutilante où l’on s’adonne au rituel du thé en devisant de tout – et surtout de rien.
Charlotte Fabre

"Le rêve et la plainte" : l'art du vaudeville au théâtre des Bouffes du Nord, à Paris

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Par Isabelle Barbéris

Publié le

Avec sa dernière création, l’inclassable et décapante Nicole Genovese invite le vaudeville dans le décor de Versailles sous Louis XVI : « Le rêve et la plainte » est une sorte d’opéra-bouffe réinventé, qui télescope les clichés de l’aristocratie et de la bourgeoisie en décantant toutes les nuances du kitsch mélancolique.

Ce n’est pas tous les jours que l’on peut se régaler d’un spectacle qui sorte à ce point des modes. Depuis Ciel ! Mon placard… en 2014, Nicole Genovese trace sans concession sa voie singulière en explorant l’énergie panique du vaudeville et en conduisant ce genre prévisible sur des sentiers aux antipodes : buissonniers et inexplorés.

Le Rêve et la plainte commence dans une dépendance, une cuisine rutilante comme un sou neuf où l’on s’adonne au rituel du thé en devisant de tout et surtout de rien, pour tuer le temps. Des personnages de bourgeois consuméristes et attendrissant en proie à l’ennui sont campés en costumes d’aristocrates du XVIIIème siècle : fracs, bas et culottes pastel pour ces messieurs Maxence Tual (apeuré et fébrile Louis XVI) et Sébastien Chassagne (en comte d’Artois habité par une sorte de logorrhée de récrimination, incompressible et dérisoire). Pour ces dames, les crinolines semblent coupées dans des nappes de cuisine : Nabila Mekkid (Marie-Antoinette) est une rombière radieuse, tonique et affriolante, tandis qu’Angélique Zaini, tout en décalage et en vulnérabilité, campe une « suivante » gênée et gênante.

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« Il m’apparaissait clairement que cette conversation, musicale, un peu drôle et futile, parfois tragique par sa vacuité, pourrait être la dernière conversation sur la terre », raconte Genovese, qui signe la mise en scène sous le nom de son avatar Claude Vanessa. Le télescopage entre bourgeoisie et aristocratie est riche d’effets : hilarant par son absurdité, il souligne aussi avec tendresse et acidité le vide de cette petite assemblée échouée dans ses fantasmes, son besoin de « remplissage ». Le passé sans tradition n’existe plus que sous la forme d’un rêve de synthèse, un insatiable besoin de confort et de consolation.

Le Rêve et la plainte jusqu’au 30 décembre 2022 au Théâtre des Bouffes du Nord (Paris) – puis en tournée jusqu’en mars 2023.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne